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Giuseppe Tucci: Tibetan Painted Scrolls

Giuseppe Tucci Tibetan Painted Scrolls

„Unsere Psychologie muß ans Leben heranreichen, sonst bleiben wir einfach im Mittelalter stecken.“ C. G. Jung

Giuseppe Tucci:

Band I: TIBETAN PAINTED SCROLLS.
 
Band II: TIBETAN PAINTED SCROLLS || AN ARTISTIC AND SYMBOLIC ILLUSTRATION | OF 172 TIBETAN PAINTINGS PRECEEDED BY A SURVEY | OF THE HISTORICAL, ARTISTIC, LITERARY AND RELI-|GIOUS DEVELOPMENT OF TIBETAN CULTURE. WITH | AN ARTICLE OF P. PELLIOT ON A MONGOL EDICT, | THE TRANSLATION OF HISTORICAL | DOCUMENTS AND AN APPENDIX | ON PREBUDDHISTIC IDEAS | OF TIBET.
Three volumes, the complete set.

Rom: Istituto Poligrafico dello Stato for Libreria dello Stato, 1949.

Folio. ca. 420 × 296 mm. I: XV, [1 blank], 327, [1 blank], [1], [1 blank] pp., folding table after p. 84. — II: VIII, pp. (329)-798, [1], [1 blank] pp., genealogical tables after p. 706. With together 134 figures in the text. — III: Large folio. 490 × 332 mm. [4] pp., 25 (numbered A to Z) color phototype plates, 231 black and white phototype plates (numbered 1 to 231), [4] pp.

Volumes 1 & 2: original red silk, gilt, upper edges gilt, others uncut. Volume 3: original red silk portfolio, gilt, with inner folding silk chemise.

First edition. One of 750 numbered copies, of a total edition of 775. Printed on Umbrian Paper (Fabriano). One of the key works in the field. From the library of the American Buddhist poet Gary Snyder, who has signed neatly at the base of each title page, with date of acquisition: 1974.

First edition. Yakushi T119 — Chand 86 — BibliographienBuddhismus.


 

Die Abbildungen zeigen den Dharmakāya-Buddha, धर्मकाय बुद्ध, Vajradhara, वज्रधर; den Heruka, हेरुक, bzw. Yidam, ཡི་དམ་ (abgekürzt aus ཡིད་ཀྱི་དམ་ཚིག་, yid-kyi-dam-tshig, Skt. इष्टदेवता, iṣṭadevatā, cf. δαίμων), Cakrasaṃvara, चक्रसंवर; und den Dharmapāla, धर्मपाल, Hayagrīva, हयग्रीव.

In Anagarika Govindas: Grundlagen tibetischer Mystik stieß ich auf die Sādhanamālā, साधनमाला, und dieses Buch, das ich mir erstmals in der Berliner Staatsbibliothek anschaute. Die Sādhanamālā kaufte ich noch als Student antiquarisch und übersetzte einen kleinen Teil, der mich besonders interessierte. Diese Ausgabe der Tibetan Painted Scrolls erwarb ich viele Jahre später als Antiquar aus den USA, es folgten einige der ebenso großen Nachdrucke, die auf neueren, teils besseren Photographien basieren.

Psychologie und Selbstfindungsprozesse müssen nicht allein ans Leben reichen, sondern ins Leben, sich einpassen und sich mit ihm ändern. Darum erstarren Religionen ohne Anpassung und Modernisierung, Yoga verkommt zu Gymnastik, Meditation zum Zeitvertreib mit Traumbegleitung. Der tibetische Buddhismus entwickelte sich zum Schulsystem, von Ngöndro, སྔོན་འགྲོ་, sngon ’gro, zu Sādhanas, साधन, oder gleich zum theoretischen Studiengang mit Abschluß Geshe, དགེ་བཤེས་, dge bshes. Europäern liegt der Zugang zu solchen Bildern oder Mandalas, मण्डल, eh fern, es fehlt der geistige Hintergrund aus vielen hundert Jahren, ohne ihn muß er erarbeitet werden und bleibt meist ein Kopfprodukt, wird keine Basis geistiger Entwicklung. Die hier entstandenen Systeme sind weniger verbreitet, eher subjektiv oder von wie für kleinere Gruppen ersonnen, wie z. B. Tarot, Mythologie, Architektur und Gärten, siehe die Verweise unten.

 

Giuseppe Vincenzo Tucci

Giuseppe Vincenzo Tucci, geboren 5. Juni 1894 in Macerata; gestorben 5. April 1984 in San Polo dei Cavalieri bei Rom. Autodidaktisch erlernte er Hebräisch, Chinesisch, Persisch und Sanskrit, besuchte die Universität von Rom, studierte ab 1925 Buddhismus, Tibetisch und Bengalisch an der von Rabindranath Tagore gegründeten Visva-Bharati University in Santiniketan, West-Bengalen, und unterrichtete dort Italienisch und Chinesisch. Zusammen mit dem Philosophen Giovanni Gentile gründete er 1933 das Istituto italiano per il Medio ed Estremo Oriente, IsMEO, mit Sitz in Rom, dessen Präsident er von 1947 bis 1978 war und das 1955 mit dem Istituto italo-africano zum Istituto italiano per l’Africa e l’Oriente, IsIAO, zusammengelegt wurde. 1948 erhielt Tucci die Erlaubnis, den jungen Dalai Lama in Lhasa zu treffen, er war der dritte Italiener, der diese Stadt des Lamaismus betrat. Zwischen 1926 und 1954 unternahm er mehr als dreizehn Reisen und Expeditionen nach Nepal und Tibet, ab 1955 mehrere archäologische Grabungen im Swat-Tal im heutigen Pakistan, in Ghazni in Afghanistan, in Persepolis im Iran sowie im Himalaya. Zahlreiche der von ihm gesammelten Fundstücke befinden sich im 1957 gegründeten Museo Nazionale d’Arte Orientale zu Rom. Er unterstützte den italienischen Faschismus und Benito Mussolini. 1978 erhielt der den Jawaharlal Nehru Award for International Understanding, 1979 den Balzan Preis für Geschichte. Er verfaßte mehr als 360 Bücher und Zeitschriftenbeiträge. Der Tibetologe Donald S. Lopez schreibt: „For Tucci, Tibet was an ecological paradise and timeless utopia into which industrialized Europe figuratively could escape and find peace, a cure for western ills, and from which Europe could find its own pristine past to which to return.“ Am 8. Oktober 1973 schrieb Tucci in Il Tempo: „io non credo in Dio, non credo nell’anima, non credo in nessuna Chiesa ma in tre principi soltanto: retto pensiero, retta parola, retta azione“.


Giuseppe Tucci’s Tibet, Photographs from the 1930s expeditions.

 

Alexandra David-Néel: Mystiques et Magiciens du Thibet

Chapitre VIII — Phénomènes psychiques et comment les Thibétains les expliquent.

Au cours des chapitres précédents, j’ai déjà signalé certains faits qui peuvent être rangés dans la catégorie des phénomènes psychiques. Peut-être, avant de terminer ce livre, est-il bon de reprendre ce sujet, car le Thibet doit surtout son renom à la croyance que les prodiges y éclosent aussi nombreux qu’ailleurs les fleurs des champs.

Comment cette singulière réputation lui est-elle venue ? Examinons-le rapidement, voyons quelle opinion les Thibétains entretiennent au sujet des « prodiges » et notons quelques-uns de ceux-ci. Quoi qu’en puissent penser certains, ces faits bizarres sont loin d’être communs et il est bon de se souvenir que les observations condensées ici en quelques pages ont été effectuées durant une période de plus de dix années.

La fascination exercée par le Thibet sur les peuples voisins date de très loin. Bien avant la naissance du Bouddha, les Hindous se tournaient avec une religieuse terreur vers l’Himâlaya, et des histoires extraordinaires circulaient au sujet de la contrée, voilée par les nues, portée sur les épaules de ses monts neigeux.

La Chine semble aussi avoir subi, autrefois, l’attraction des étranges solitudes tibétaines. La légende de son grand mystique Lao-Tseu relate qu’à la fin de sa longue carrière, le maître, chevauchant un bœuf, partit pour le « Pays des Neiges », en franchit la frontière et ne reparut plus. La même chose est quelquefois racontée au sujet de Bodhidharma et de quelques-uns de ses disciples chinois. Encore maintenant, l’on rencontre parfois, sur les sentiers conduisant aux cols par où l’on pénètre au Thibet, des pèlerins hindous, se traînant comme en un rêve, hypnotisés, dirait-on, par une vision irrésistible. Lorsqu’on les interroge sur le but de leur voyage, la plupart ne peuvent que répondre qu’ils souhaitent mourir sur le sol tibétain. Trop souvent, hélas ! le climat dur, la haute altitude, la fatigue et le manque de nourriture s’associent pour exaucer leur vœu.

Comment expliquer ce pouvoir magnétique du Thibet ? Il n’y a point de doute que la réputation de thaumaturges dont jouissent ses lamas ermites en soit la principale cause. Mais il reste à savoir pourquoi le Thibet a été spécialement reconnu comme la terre élue des sciences occultes et des phénomènes supranormaux. Tout d’abord, la situation géographique du pays, enclos entre des chaînes de montagnes formidables et d’immenses déserts, y prêtait grandement.

Les hommes contraints d’abandonner des chimères chéries, incompatibles avec le milieu prosaïque où ils se meuvent, sont empressés à les transporter en des régions idéales mieux en harmonie avec elles. Comme dernière ressource, ils édifient pour elles des jardins dans les nues et des paradis au-delà des étoiles. Mais combien plus grande encore doit être leur hâte de saisir l’occasion de les loger plus à portée d’eux : ici-bas, parmi les humains. Le Thibet offre cette occasion. Il présente tous les caractères des terres merveilleuses dépeintes dans les contes. Je ne crois pas exagérer en disant que ses paysages dépassent, à tous les points de vue, ceux éclos dans l’esprit des architectes fantaisistes constructeurs de mondes pour dieux ou pour démons.

Nulle description ne peut donner une idée de la sereine majesté, de la grandeur farouche, de l’aspect effroyable et du charme ensorcelant des différents paysages tibétains. Souvent, en parcourant ces hautes terres solitaires l’on ressent l’impression d’y être un intrus. Inconsciemment, on ralentit le pas, on baisse la voix et des paroles d’excuse montent aux lèvres, prêtes à être adressées au premier rencontré des maîtres légitimes du sol que l’on foule sans droit.

L’accoutumance n’a guère atténué, chez les indigènes, l’influence particulière qu’exercent les conditions physiques du Thibet. Traduites par leur esprit primitif, leurs impressions prennent les formes fantastiques des fantômes avec lesquels ils ont peuplé de façon si dense les grandes solitudes de leur pays vide.

D’un autre côté, de même que les bergers chaldéens jetèrent les bases de l’astronomie en observant le ciel étoilé, depuis longtemps les ermites tibétains et les chamans vagabonds ont médité sur les mystères des régions étranges où ils vivaient et noté les phénomènes qui y trouvaient un terrain favorable. Une science bizarre naquit de leur contemplation et sa possession valut aux initiés du « Pays des Neiges », le renom dont ils jouissent depuis longtemps.

Cependant, en dépit de sa situation naturelle si bien défendue, le Thibet n’est pas inaccessible. J’en puis parler en connaissance de cause. J’ai accédé plusieurs fois à ses plateaux méridionaux par différents cols de l’Himâlaya, voyagé pendant des années dans ses provinces orientales et ses déserts herbeux du nord et, lors de mon dernier voyage, j’ai traversé le pays tout entier, depuis son extrémité au sud-est jusqu’à Lhassa. N’importe quel voyageur robuste pourrait faire de même, n’était la politique qui ferme le pays aux étrangers.

Il est certain que — surtout depuis l’introduction du bouddhisme — un bon nombre d’Hindous, de Népalais, et plus encore de Chinois ont visité le Thibet, vu ses sites extraordinaires et ont entendu parler des pouvoirs supranormaux attribués à ses doubtobs. Parmi ces voyageurs, quelques-uns ont certainement approché des lamas de Bönpos magiciens et entendu exposer les doctrines des ermites contemplatifs. Leurs relations amplifiées, comme toujours, à mesure qu’elles circulaient ont dû, en s’ajoutant aux causes physiques que je viens de mentionner et peut-être à d’autres causes encore, moins apparentes, tisser autour du « Pays des Neiges » l’atmosphère de magie dans laquelle il nous apparaît aujourd’hui enveloppé.

Devons-nous en conclure que la réputation du Thibet comme terre où fleurissent les prodiges, est entièrement usurpée ? Ce serait, probablement, une erreur égale à celle d’accepter sans contrôle tous les contes des indigènes, ou ceux nés plus récemment à ce sujet dans le cerveau ingénieux de quelques Occidentaux facétieux.

La meilleure voie à suivre est de nous inspirer de l’opinion, plutôt inattendue, professée par les Thibétains touchant les incidents anormaux. Nul, au Thibet, ne dénie que de tels faits surviennent, mais nul ne les tient pour miraculeux, au sens que le terme de miracle comporte en Occident, c’est-à-dire au sens d’événement surnaturel.

Tous les faits qui, en d’autres pays, ont été tenus pour miraculeux ou attribués d’une façon quelconque à l’intervention arbitraire d’êtres appartenant à d’autres mondes, sont considérés, par les adeptes avancés des doctrines mystiques tibétaines, comme des phénomènes psychiques.

D’une façon générale, les Thibétains distinguent deux catégories de phénomènes :

1° Les phénomènes qui sont produits inconsciemment, soit par une seule personne, soit par plusieurs individus.

L’auteur ou les auteurs du phénomène agissant inconsciemment, il va de soi que ce dernier n’est pas ordonné à un but déterminé d’avance par ceux qui le produisent.

2° Les phénomènes produits sciemment, en vue d’obtenir un résultat précis. Ceux-ci sont le plus souvent — mais pas nécessairement — l’œuvre d’une seule personne.

Cette personne peut être un homme ou bien appartenir à une autre des six classes d’êtres que les Thibétains reconnaissent comme existant dans notre univers. Quel qu’en soit l’auteur, le phénomène s’opère par les mêmes procédés. Il n’y a point de miracle.

Il sera utile de remarquer, en passant, que les Thibétains sont déterministes. Chaque volition, croient-ils, est conditionnée par nombre de causes dont les unes sont proches et les autres infiniment lointaines. Je ne m’étendrai pas sur ce point qui sort de mon sujet, mais il faut comprendre que, consciemment ou inconsciemment produit, le phénomène est dû à des causes multiples. D’abord, celles qui ont fait naître chez son auteur la volonté de la produire, ou qui, à son insu, ont mis en action des forces latentes en lui, puis celles qui, en dehors de l’auteur du phénomène, ont favorisé la production de ce dernier.

Les causes lointaines sont, la plupart du temps, représentées par leur descendance, si je puis employer ce terme imagé dont certains Thibétains se sont servis au cours de nos conversations. Cette « descendance » ce sont les effets qui incarnent, pour le moment des actes matériels accomplis dans le passé ou des pensées anciennes.

Ainsi, lorsque je parlerai de concentration de pensée, il sera nécessaire de se souvenir que, d’après le système que nous étudions, celle-ci n’est pas absolument spontanée et que le phénomène dont elle est la cause directe a derrière lui, à l’arrière-plan, un nombre de causes secondaires tout aussi indispensables.

Le secret de l’entraînement psychique, comme les Thibétains l’entendent, consiste à développer une puissance de concentration de pensée dépassant de beaucoup celle que possèdent, naturellement, les hommes même les mieux doués à cet égard.

Les Thibétains affirment que par le moyen de cette concentration, des ondes d’énergie sont produites.

Le mot « onde » est de moi, bien entendu. Je l’emploie pour rendre l’explication plus claire et parce que, comme on le verra, il s’agit bien, dans la pensée des Thibétains, de courants de forces. Toutefois, ceux-ci emploient simplement le mot « énergie ». Cette énergie, enseignent-ils, est produite chaque fois qu’une action mentale ou physique a lieu. Action de l’esprit du verbe ou du corps, d’après la classification bouddhiste. C’est de l’intensité de cette énergie et de la direction qui lui est donnée que dépend la production des phénomènes psychiques.

Voici, d’après les maîtres magiciens du Thibet, différentes manières dont peut être utilisée l’énergie engendrée par une puissante concentration de pensée :

1° Un objet peut être chargé par ces ondes, à la façon d’un accumulateur électrique, et rendre, ensuite, l’énergie qu’il contient, sous la forme d’une manifestation quelconque. Par exemple : il augmentera la vitalité de celui qui entre en contact avec lui, lui communiquera de l’intrépidité, etc.

C’est en se basant sur cette théorie que les lamas préparent des pilules, de l’eau bénite et des charmes de diverses espèces, qui sont supposés protéger contre les accidents ou tenir en bonne santé.

Le lama doit premièrement se purifier par un régime alimentaire particulier et par la méditation dans la retraite ; ensuite, il concentre ses pensées sur les objets qu’il veut charger de force bienfaisante. Plusieurs semaines ou même plusieurs mois sont parfois consacrés à cette préparation. Cependant, quand il s’agit seulement d’écharpes ou de cordons charmés, ceux-ci sont souvent noués et consacrés en quelques minutes.

2° L’énergie transmise à l’objet infuse en lui une sorte de vie, et il devient capable de mouvement et peut accomplir des actes qui lui sont dictés par celui qui l’a animé.

L’on peut se rappeler ici l’histoire des gâteaux rituels (tormas) que le lama-sorcier de Trangloung envoya à travers les airs dans les maisons des villageois qui lui désobéissaient.

Un moyen quelque peu analogue est, dit-on, employé par les ngags-pas, pour nuire à autrui.

Voici un exemple de la façon dont ils opèrent :

Après une concentration de pensée qui durera peut-être plusieurs mois, le magicien infusera dans un couteau la volonté de tuer tel individu. Lorsque le ngags-pa supposera que l’instrument est en état de remplir son office, celui-ci sera placé à la portée de l’homme que l’on veut tuer, de façon à ce que, presque immanquablement, ce dernier soit amené à le saisir pour s’en servir. Alors, croient les Thibétains, dès que le contact s’est établi entre l’homme et le couteau, ce dernier se meut, imprime un mouvement irrésistible à la main qui le tient et tue ou blesse la personne contre laquelle il a été préparé. La blessure paraît ainsi avoir une cause naturelle : la maladresse ou la volonté de se suicider.

On assure que l’arme, étant animée, devient dangereuse pour le sorcier lui-même qui, s’il manque de la science et de l’habileté nécessaires pour se garder, peut en devenir la victime.

Il n’y a pas à s’étonner de ce que le sorcier se suggestionne lui-même au cours des rites très longs exigés par cette pratique et qu’un accident en résulte. D’après les Thibétains, toutes histoires de démons mises de côté, il peut y avoir là un phénomène du genre de celui qui survient lorsque le magicien a créé un fantôme et que celui-ci se rend indépendant de son auteur.

Certains lamas et quelques Bönpos m’ont assuré que l’on se méprendrait en croyant que le couteau devient animé et tue l’homme qui lui est désigné. C’est au contraire ce dernier, disaient-ils, qui, subissant la suggestion produite par la concentration de pensée du sorcier, se suicide inconsciemment.

Bien que le ngags-pa, expliquaient-ils, ne vise qu’à animer le couteau, la pensée de l’individu contre qui le rite est dirigé et la scène de sa mort future sont toujours présentes à son esprit. Or, comme cette victime peut être un « récepteur » propre à accueillir les ondes psychiques engendrées par le sorcier, tandis que le couteau inerte ne le peut pas, c’est elle qui subit l’influence du ngags-pa. Il en résulte que lorsque l’homme dont la mort est voulue se trouve en contact avec le couteau préparé par le sorcier, la suggestion entrée en lui, à son insu, se déclenche et il y obéit en se frappant.

Je rapporte cette explication telle qu’elle m’a été donnée.

De plus, les Thibétains croient que, sans employer aucun objet matériel comme intermédiaire, les adeptes avancés des sciences occultes peuvent, même à distance, suggérer l’idée de se tuer ou n’importe quelle autre idée, à des hommes, des bêtes, des démons, des génies, etc…

Tous s’accordent, cependant, pour affirmer qu’une telle tentative ne peut réussir contre celui qui a pratiqué assidûment l’entraînement psychique, parce qu’il est apte à reconnaître la nature des « vagues » de forces dirigées vers lui et à repousser celles qu’il juge néfastes.

3° Sans le secours d’aucun objet matériel, l’énergie émise par la concentration de pensée transmet de la force à distance, et cette force donne lieu à des manifestations diverses à l’endroit vers lequel elle a été dirigée.

Elle peut, par exemple, produire un phénomène psychique à cet endroit. Il en a été dit quelque chose en parlant des tulkous.

Elle peut aussi pénétrer dans le but qui lui a été assigné et déverser en lui une force particulière.

C’est le procédé qu’emploient les maîtres mystiques en conférant les initiations à leurs disciples. Les initiations ne consistent pas, chez les Thibétains, en la communication d’une doctrine ou d’un secret, mais en une transmission de pouvoir ou de force psychique qui rend le disciple capable d’accomplir la chose spéciale en vue de laquelle il reçoit l’initiation. Le terme tibétain angkour, que nous traduisons par initiation, signifie littéralement « communiquer le pouvoir ».

Cette transmission de force psychique à distance permet aussi, dit-on, au maître de soutenir et de ranimer, en cas de besoin, la force physique et mentale de ses disciples éloignés.

Ce procédé ne tend pas toujours à enrichir le but vers lequel « l’onde » est dirigée. Quelquefois, au contraire, après avoir, touché celui-ci, elle retourne vers le poste qui l’a émise. Mais, en prenant contact avec son but, elle lui soutire une partie ou la totalité de sa propre énergie, et, ainsi chargée, elle retourne à son point de départ pour être réabsorbée dans l’auteur du phénomène.

Il est dit que certains mages noirs et certains êtres démoniaques arrivent, par ce moyen, à prolonger indéfiniment leur vie, à acquérir une force physique extraordinaire, etc…

4° Les Thibétains affirment encore que, par la concentration de pensée, des gens exercés sont capables de projeter les formes conçues dans l’esprit et de créer toutes sortes de fantômes : hommes, déités, animaux, objets quelconques, paysages, etc.

Ceux-ci n’apparaissent pas toujours comme desmirages impalpables. Ils peuvent être tangibles et doués de toutes les facultés et qualités appartenant naturellement à l’être animé ou à la chose qu’ils représentent.

Par exemple, un cheval-fantôme trotte et hennit ; le cavalier-fantôme qui le monte peut descendre de sa monture, parler avec un passant sur la route, manger un repas composé d’aliments véritables. L’odeur d’un buisson de roses-fantômes se répandra au loin ; une maison-fantôme abritera des voyageurs en chair et en os, etc.

Tout ce qui précède paraît, à première vue, devoir être classé dans la catégorie des contes de fées, et l’on fait sagement en tenant pour tels quatre-vingt-dix-neuf pour cent des histoires tibétaines relatant des faits de ce genre. Cependant, l’on se trouve parfois en présence de cas troublants ; certains phénomènes se produisent, dont on ne peut nier l’existence. On est réduit, alors, à en chercher soi-même l’explication, si l’on ne veut pas accepter celle donnée par les Thibétains. Cependant les explications tibétaines, à cause de la forme vaguement scientifique qu’elles revêtent, constituent une attraction de plus et deviennent, en elles-mêmes, un champ d’investigations.

Les voyageurs occidentaux qui se sont approchés de la frontière tibétaine et s’y sont formé une opinion superficielle concernant les superstitions des masses populaires, seront peut-être très surpris d’apprendre quelles idées étrangement rationalistes et même sceptiques que ces apparemment crédules benêts nourrissent dans les profondeurs de leur esprit.

Deux histoires populaires au Thibet serviront à illustrer le sujet. Que les faits rapportés soient ou non authentiques nous importe peu. Ce qu’il y a à retenir est l’interprétation donnée au miracle et l’esprit dont les récits sont imprégnés.

Un marchand voyageait avec sa caravane par un jour de grand vent. La bourrasque lui enleva son chapeau qui fut projeté dans les buissons.

Les Thibétains croient que ramasser sa coiffure, si elle vient de tomber de cette façon au cours d’un voyage, attire la malchance. Obéissant à cette idée superstitieuse, le marchand abandonna la sienne.

Le chapeau était en feutre souple, avec des couvre-oreilles en fourrure. Aplati dans les broussailles et à demi caché par elles, sa forme n’était guère reconnaissable.

Quelques semaines plus tard, à la nuit tombante, un homme passant par là distingua une forme imprécise qui paraissait tapie parmi les halliers. N’étant pas des plus braves, il pressa le pas et s’éloigna. Le lendemain, il raconta dans le premier village où il s’arrêta qu’il avait vu « quelque chose d’étrange » caché dans les buissons, à une petite distance du chemin.

Le temps passa, puis d’autres voyageurs aperçurent aussi, à la même place, un objet singulier dont ils ne purent définir la nature et en parlèrent dans ce même village.

Et ainsi de suite, d’autres encore entrevirent l’innocent couvre-chef et le signalèrent à l’attention des gens du pays.

Pendant ce temps, le soleil, la pluie et la poussière faisant leur œuvre, le feutre avait changé de couleur et les cache-oreilles redressés ressemblaient vaguement aux oreilles poilues d’un animal. L’aspect de la guenille en était devenu d’autant plus singulier.

Maintenant, voyageurs et pèlerins s’arrêtant au village étaient avertis qu’à la lisière des bois, une « chose », ni homme ni bête, demeurait embusquée et qu’il convenait d’être sur ses gardes. Certains émirent l’idée que la « chose » pouvait être un démon et bientôt l’objet jusque-là anonyme fut promu au rang de diable.

Davantage de gens virent le vieux chapeau, davantage en parlèrent et tout le pays en vint à s’entretenir du « démon » caché au coin du bois.

Alors, il advint qu’un jour des voyageurs virent la guenille remuer, un autre jour, elle parut chercher à se dégager d’entre les épines enchevêtrées autour d’elle, et finalement, elle poursuivit des passants qui, fous de terreur, s’enfuirent à toutes jambes.

Le chapeau avait été animé par l’effet des nombreuses pensées concentrées sur lui.

Cette histoire, que l’on assure véridique, est donnée comme exemple du pouvoir de la concentration de pensée, même effectuée inconsciemment et sans tendre à un but précis.

La seconde histoire a tout l’air d’avoir été imaginée par un plaisantin mécréant pour se moquer des dévots. Pourtant, il n’en est rien. Au Thibet, nul n’y trouve sujet à rire ou à s’indigner. Le fait rapporté est accepté comme l’expression de la réalité concernant tous les cultes où l’objet vénéré ne vaut que par la vénération qui lui a été témoignée et n’a de pouvoir que celui dont ses fidèles eux-mêmes l’ont investi par la concentration de leurs pensées pieuses et leur foi.

La vieille mère d’un marchand qui allait chaque année dans l’Inde, demanda un jour à celui-ci de lui rapporter une relique de la terre sainte. (L’Inde, berceau du bouddhisme, est la terre sainte des Thibétains.) Le marchand promit de s’acquitter de la commission mais, préoccupé par ses affaires, il l’oublia.

La vieille Thibétaine fut navrée et, l’année suivante, lorsque la caravane de son fils se mit de nouveau en route pour l’Inde, elle lui fit encore une fois promettre de lui rapporter une relique.

Celui-ci promit et oublia. Et la même chose se renouvela l’année d’après. Cette troisième fois, pourtant, le marchand se rappela la demande de sa mère avant d’arriver à sa demeure et fut sincèrement affligé en pensant à la peine qu’allait avoir la pieuse vieille femme. Comme il réfléchissait au moyen d’arranger les choses, ses yeux tombèrent sur un fragment de mâchoire de chien qui gisait sur le bord de la route. Une inspiration soudaine lui vint. Il détacha une dent de l’ossement desséché, la débarrassa de la poussière qui la couvrait, puis l’enveloppa dans un morceau de soie. Chez lui, il présenta cet os à sa mère comme étant, très précieuse relique, une dent du grand Saripoutra.

Transportée de joie et pleine de vénération, la bonne femme plaça la dent dans un reliquaire, sur un autel. Chaque jour, elle lui rendait un culte, allumant des lampes et faisant brûler de l’encens. D’autres dévots se joignirent à elle et, au bout de quelque temps, la dent de chien, promue sainte relique, émit des rayons lumineux. Un proverbe tibétain est né de cette histoire :

Meu gus yeu na
Khyi so eu toung.

C’est-à-dire, la vénération fait surgir de la lumière, même de la dent d’un chien.

Ainsi qu’on a pu le voir au cours du présent ouvrage, les théories des lamaïstes concernant n’importe quels phénomènes sont, au fond, toujours identiques. Toutes sont basées sur le pouvoir de l’esprit et ceci n’est que logique de la part de gens qui, pour la plupart, considèrent l’univers, tel que nous le voyons, comme une vision subjective.

Le pouvoir de se rendre invisible à volonté exhibé par nombre de magiciens dans les contes de tous les peuples, est finalement attribué par les occultistes tibétains à la cessation de l’activité mentale.

Ce n’est pas que les légendes omettent de citer les moyens matériels produisant cette invisibilité. Parmi eux est le fameux dip ching, un bois fabuleux qu’une espèce particulière de corbeaux cache dans son nid. Le plus petit fragment de celui-ci assure l’invisibilité parfaite à l’homme, la bête ou l’objet qui le porte, ou près duquel il est placé. Mais les grands naldjorpas, les doubtchens éminents n’ont besoin d’aucun instrument magique pour arriver à ce résultat.

D’après ce que j’ai pu comprendre, les initiés à l’entraînement psychique ne considèrent pas le phénomène de la même façon que les profanes. À les entendre, il semble qu’il ne s’agisse pas du tout de s’escamoter, bien que le vulgaire imagine le prodige sous cette forme. Ce qu’il faut, c’est parvenir à n’éveiller aucune sensation chez les êtres animés que l’on approche. De cette façon, l’on passe inaperçu et, à de moindres degrés de perfection du phénomène, on est très peu remarqué par ceux devant lesquels on passe, on ne provoque pas leurs réflexions et on ne laisse aucune impression dans leur mémoire.

Les explications qui m’ont été données à ce sujet peuvent à peu près se traduire comme suit : lorsque l’on avance en faisant un grand bruit, beaucoup de gestes, en heurtant les gens et les choses, l’on détermine de nombreuses sensations chez un grand nombre d’individus. L’attention s’éveille en ceux qui le ressentent et se porte sur celui qui en est l’auteur. Si, au contraire, on marche doucement, en silence, l’on ne fait naître que peu de sensations, celles-ci ne sont point vives, elles n’excitent pas l’attention chez ceux qui les éprouvent et il s’ensuit que l’on est peu remarqué.

Toutefois, si immobile et silencieux que l’on se tienne, le travail de l’esprit engendre une énergie qui se répand autour de celui qui la produit, et cette énergie est sentie de façons diverses par ceux qui entrent en contact avec elle. Si l’on parvient à supprimer tout mouvement de l’esprit, on n’éveille pas de sensations autour de soi et l’on n’est point vu.

Cette théorie me paraissant par trop hasardée, j’insinuai que, malgré tout, le corps matériel devrait forcément être vu. La réponse fut : nous voyons à chaque instant un nombre considérable d’objets, mais bien que tous se trouvent sous nos yeux, nous ne remarquons qu’un nombre très restreint d’entre eux. Les autres ne produisent aucune impression sur nous ; aucune « connaissance-conscience » ne suit le contact visuel ; nous ne nous rappellerons pas que ce contact a eu lieu. En fait, ces objets sont demeurés invisibles pour nous.

S’il fallait en croire toutes les nombreuses histoires racontées à ce sujet ou ajouter foi aux rapports de toutes les personnes qui affirment avoir été témoins de matérialisations, celles-ci s’effectueraient fréquemment au Thibet, mais il convient toujours, en matière semblable, de faire large part à l’exagération comme aux hâbleries. Nombreux doivent être ceux qui, entendant relater un prodige, ne peuvent résister à la tentation de se vanter d’en avoir contemplé un plus extraordinaire.

Il faut aussi compter avec la suggestion collective et l’auto suggestion. Néanmoins, toutes réserves faites quant à la fréquence de ces phénomènes, il me serait difficile d’en nier complètement l’existence.

Les matérialisations, telles que les Thibétains les dépeignent et telles que j’ai pu en voir moi-même, ne ressemblent point à celles qui, paraît-il, ont été observées dans les séances de spiritisme. Au Thibet, les témoins des phénomènes n’ont pas été spécialement convoqués pour tenter d’obtenir ceux-ci, ils n’ont donc pas l’esprit préparé et porté à en voir. Il n’y a point de table sur laquelle les assistants posent les mains, point de médium en transe, point de cabinet noir où celui-ci s’enferme. L’obscurité n’est point requise non plus, le soleil et le plein air ne contrarient point les apparitions.

Comme il a été dit, certaines de ces apparitions sont créées volontairement, soit instantanément, si l’auteur du phénomène est doué d’une force psychique suffisante, soit par un procédé très lent du genre de celui décrit dans le chapitre précédent à propos de l’objectivation d’un Yidam.

En d’autres cas, l’auteur du phénomène produit celui-ci involontairement et n’est point conscient de l’apparition contemplée par d’autres. Parfois, l’apparition consiste en une forme identique à celle de l’auteur de la matérialisation et dans ce cas, ceux qui d’une façon quelconque croient à l’existence d’un « double » éthéré, y verront une manifestation de ce dernier. Mais de multiples sosies de l’auteur du phénomène apparaissent, parfois, simultanément, et dans ce cas il est difficile d’attribuer les apparitions à l’existence d’un unique double. D’autres fois encore, la forme ou les formes créées n’ont aucune ressemblance avec celui qui les produit.

Je relaterai ici quelques-uns de ces phénomènes dont j’ai été témoin en même temps que d’autres personnes : 1° Un jeune homme qui était à mon service s’en alla voir ses parents. Je lui avais accordé trois semaines de congé, après quoi il devait m’acheter des vivres et engager des porteurs pour transporter les fardeaux à travers la montagne.

Le garçon, qui s’amusait parmi les siens, prolongea son absence. Près de deux mois s’étaient écoulés sans qu’il reparût. Je croyais qu’il m’avait quittée définitivement.

Une nuit, je rêvai de lui. Je le vis vêtu d’une façon qui ne lui était pas habituelle et coiffé d’un chapeau de forme européenne. Jamais il n’en avait porté.

Le lendemain matin, un de mes domestiques vient me trouver en courant : « Ouangdu arrive, dit-il, je l’ai aperçu à l’instant. » La coïncidence me paraît curieuse. Je sors pour regarder venir le voyageur.

L’endroit où je me trouvais dominait une vallée. Je vis très clairement Ouangdu habillé exactement comme dans mon rêve. Il était seul et montait le chemin zigzaguant sur le versant de la montagne.

Je fis la remarque qu’il n’avait pas de bagages avec lui et le domestique qui se tenait à côté de moi répondit : « Ouangdu aura devancé les porteurs. »

Deux autres hommes virent aussi Ouangdu gravissant la montagne.

Mon domestique et moi, nous continuions à le regarder s’approcher, lorsqu’il arriva près d’un petit chörten. La base de celui-ci était constituée par un cube en maçonnerie, d’environ 80 centimètres de côté et, y compris sa partie supérieure jusqu’au sommet de l’aiguille terminale, le monument tout entier ne mesurait pas plus de deux mètres. Il était construit partie en pierre, partie en pisé et complètement plein, n’offrant aucune cavité.

Le garçon passa derrière le chörten et ne reparut plus.

Il n’y avait à cet endroit, ni arbres, ni maisons, ni replis de terrain, rien que ce chörten isolé. D’abord le domestique et moi, nous supposâmes que Ouangdu s’était assis à l’ombre du petit monument. Puis, voyant que le temps passait sans qu’il se remît en marche, j’explorai les alentours à l’aide de mes jumelles. Je ne vis personne.

Sur mon ordre, deux de mes gens allèrent à la recherche de Ouangdu.

Je suivis leur marche dans les jumelles. Ils ne découvrirent personne non plus.

Le même jour, vers cinq heures du soir, Ouangdu apparut dans la vallée, à la tête de sa petite caravane. Il portait la robe et le chapeau que je lui avais vus d’abord dans mon rêve et ensuite, dans l’apparition.

Sans leur dire rien de cette dernière, sans leur laisser le temps de s’entretenir avec mes domestiques, j’interrogeai les porteurs et Ouangdu lui-même. Il résulta de cet interrogatoire que tous avaient passé la nuit dans un endroit trop éloigné pour qu’aucun d’eux pût arriver chez moi dans la matinée, et que d’ailleurs Ouangdu avait continuellement fait route avec les villageois.

Pendant les semaines qui suivirent cet incident, j’eus l’occasion de vérifier l’exactitude des déclarations qui m’avaient été faites, en procédant à une enquête dans les derniers villages où avait eu lieu le relais des porteurs. Il fut prouvé que les hommes avaient bien dit la vérité et fourni la dernière étape tout entière accompagnés par Ouangdu.

2° Un artiste tibétain qui se complaisait à peindre les déités terribles et leur rendait un culte assidu, entra un après-midi chez moi.

Derrière lui, je distinguai la forme quelque peu nébuleuse de l’un des personnages fantastiques qui figuraient souvent sur ses toiles.

La stupéfaction me fit faire un geste brusque et le peintre s’avança vers moi, sans doute pour m’en demander la raison. Je remarquai que le fantôme ne suivait pas son mouvement. Rapidement, j’écartai mon visiteur et fis quelques pas vers l’apparition, en étendant le bras en avant. J’eus la sensation de toucher quelque chose de peu solide qui cédait sous la pression. Le fantôme s’était évanoui.

Répondant à mes questions, l’artiste m’avoua qu’il procédait depuis plusieurs semaines à l’évocation du personnage que j’avais entrevu et qu’il venait, ce même jour, de travailler longuement à un tableau qui le représentait.

Bref, toutes ses pensées étaient concentrées sur le dieu qu’il voulait induire à le servir.

Le Thibétain, lui-même, n’avait pas vu le fantôme.

3° Le troisième incident singulier semble bien appartenir à la catégorie des phénomènes produits volontairement.

À cette époque, je campais près de Pounag riteu, au Kham. Une après-midi, je me trouvais avec mon cuisinier, dans une hutte qui me servait de cuisine. Le garçon demandait des provisions. Je lui dis : « Viens avec moi dans ma tente, tu y prendras dans les caisses ce dont tu as besoin. »

Nous sortons et, en approchant de ma tente dont les rideaux étaient ouverts, nous voyons tous les deux le lama supérieur du riteu assis sur une chaise pliante près de ma table. Ceci ne nous étonna pas, car ce lama me rendait souvent visite. Le cuisinier me dit aussitôt : « Rimpotché est là, il faut que je retourne faire du thé pour lui, je prendrai les provisions plus tard. »

Je réponds : « C’est cela, prépare du thé tout de suite. »

Le domestique s’en va, je continue à avancer. Arrivée à quelques pas de la tente, il me semble qu’un voile de brume diaphane, tendu devant elle, s’écarte doucement. Le lama avait disparu.

Un peu après, le cuisinier revenait en apportant du thé.

Il fut surpris de ne pas trouver le lama et pour ne pas l’effrayer, je lui déclarai : « Rimpotché n’avait qu’un mot à me dire, il est occupé et n’avait pas le temps de rester davantage. »

Je ne manquai pas de parler au lama de cette vision, mais il se borna à rire narquoisement, sans vouloir me donner d’explication.

La création d’un fantôme, telle que nous l’avons vue dans le chapitre précédent au sujet du Yidam, a deux buts : le but élevé qui consiste à apprendre au disciple qu’il n’existe point de dieux en dehors de ceux qu’il crée par sa pensée, et le but plus intéressé de pourvoir à sa propre protection.

Comment le fantôme protège-t-il son créateur ? En apparaissant à sa place. C’est là une pratique courante. Chaque matin, le lama qui est initié revêt la personnalité de son dieu tutélaire (il pourrait en revêtir une autre s’il le désirait) et l’on suppose alors que les êtres malveillants, au lieu de le voir comme un homme, le voient sous celui d’une déité à l’aspect effrayant, ce qui les met en fuite.

Il s’en faut de beaucoup que tous ceux qui, très sérieusement, pratiquent, chaque matin, le rite consistant à revêtir la forme de leur Yidam, soient capables d’exhiber celle-ci. Je ne sais s’ils parviennent à duper les démons, mais il est certain qu’ils ne font point illusion aux humains. Cependant, j’ai entendu raconter que des lamas étaient soudain apparus sous l’aspect de certains personnages du panthéon lamaïste.

Quant aux magiciens, ils ne voient dans la création d’un toulpa (fantôme) qu’un moyen de se pourvoir d’un instrument qui exécutera leurs volontés. Et dans ce cas, le fantôme n’est pas nécessairement un dieu tutélaire, mais n’importe quel être ou même quel objet inanimé, propre à servir leurs desseins.

Une fois bien formé, ce fantôme tend, disent les occultistes tibétains, à se libérer de la tutelle du magicien. Il arrive qu’il devienne un fils rebelle et l’on raconte que des luttes, dont l’issue est parfois tragique pour le sorcier, s’engagent entre lui et sa créature.

On cite aussi des cas où le fantôme envoyé pour accomplir une mission, n’est point revenu et continue ses pérégrinations en marionnette à demi pensante et demi consciente. D’autre fois, c’est l’opération de la dissolution qui donne lieu à des drames. Le magicien s’efforçant de détruire son œuvre et le fantôme s’acharnant à conserver la vie qui lui a été infusée.

Tous ces contes dramatiques de « matérialisations » en révolte ne sont-ils que pure imagination ?

C’est possible. Je ne me porte garante de rien, je me borne à relater ce qui m’a été narré par des gens qu’en d’autres occasions, j’avais trouvés dignes de foi. Mais eux-mêmes peuvent s’illusionner.

Quant à la possibilité de créer et d’animer un fantôme, je ne puis guère la mettre en doute.

Incrédule à mon ordinaire, je voulus tenter l’expérience moi-même et, afin de ne pas me laisser influencer par les formes impressionnantes des déités lamaïstes que j’avais l’habitude d’avoir sous les yeux, en tableaux et en statues, je choisis un personnage insignifiant : un lama courtaud et corpulent du type innocent et jovial. Après quelques mois, le bonhomme était formé. Il se « fixa » peu à peu et devint une sorte de commensal. Il n’attendait point que je pensasse à lui pour apparaître, mais se montrait au moment où j’avais l’esprit occupé de tout autre chose. L’illusion était surtout visuelle, mais il m’arriva d’être comme frôlée par l’étoffe d’une robe et de sentir la pression d’une main posée sur mon épaule. À ce moment, je n’étais point enfermée, je montais à cheval tous les jours, vivais sous la tente et jouissais, selon mon heureuse habitude, d’une excellente santé.

Un changement s’opéra graduellement dans mon lama. Les traits que je lui avais prêtés se modifièrent, sa figure joufflue s’amincit et prit une expression vaguement narquoise et méchante. Il devint plus importun. Bref, il m’échappait. Un jour, un pasteur qui m’apportait du beurre vit le fantôme, qu’il prit pour un lama en chair et en os.

J’aurais probablement dû laisser le phénomène suivre son cours, mais cette présence insolite commençait à m’énerver. Elle tournait au cauchemar. Je me décidai à dissiper l’hallucination dont je n’étais pas complètement maîtresse. J’y parvins, mais après six mois d’efforts. Mon lama avait la vie dure.

Que j’aie réussi à m’halluciner volontairement n’a rien de surprenant. La chose intéressante dans ces cas de « matérialisation » est que d’autres voient la forme créée par la pensée. Les Thibétains ne sont pas d’accord sur l’explication à donner à ce phénomène. Les uns croient qu’il y a réellement création d’une forme matérielle, les autres ne voient là qu’un cas de suggestion : la pensée du créateur du fantôme s’imposant involontairement à autrui et lui faisant voir ce qu’il voit lui-même.

Malgré l’ingéniosité déployée par les Thibétains dans leur désir de trouver une explication rationnelle à tous les prodiges, certains de ceux-ci demeurent inintelligible, soit qu’ils soient de pures inventions, soit pour d’autres raisons.

C’est ainsi qu’ils admettent généralement que les mystiques avancés ne doivent pas nécessairement mourir de la manière ordinaire, mais peuvent, n’importe quand ils le désirent, dissoudre leur corps de façon à n’en laisser aucune trace.

Il est raconté que Réstchounpa disparut de cette manière et que l’épouse de Marpa, Dagmédma, s’incorpora à son mari au cours d’une méditation particulière.

Toutefois, ces traditions, dont les héros vivaient il y a des siècles, nous apparaissent comme de pures légendes. Le fait suivant, de date relativement récente, est plus propre à nous intéresser, d’autant plus qu’au lieu de s’être produit dans un ermitage solitaire, le prodige s’est, dit-on, accompli au grand jour, devant des centaines de témoins.

Je dois déclarer, immédiatement, que je ne me trouvais pas parmi eux, et l’on peut imaginer combien je le regrette. Mes renseignements proviennent de gens qui m’ont affirmé avoir vu le phénomène. Le seul lien que j’aie avec le miracle est que j’ai connu celui qui est dit en être le héros.

Ce dernier était, comme je l’ai relaté, un des guides spirituels du Trachi-lama. On le dénommait Kyongbou rimpotché. Lors de mon séjour à Jigatzé, il était déjà vieux et vivait en ermite à quelques kilomètres de la ville sur la rive du Yésrou Tsangpo (Brahmapoutre). La mère du Trachilama le tenait en grande vénération et, tandis que j’étais auprès d’elle, j’entendis plusieurs histoires extraordinaires à son sujet.

L’on disait qu’à mesure que les années s’écoulaient, la taille du savant et saint ascète diminuait. Ceci est, d’après les Thibétains, le signe d’une haute perfection spirituelle, et de nombreuses traditions existent au sujet de mystiques-magiciens qui, ayant été des hommes de haute stature, furent graduellement réduits à des proportions minuscules et, finalement, disparurent.

Lorsque l’on commença à parler de la consécration de la nouvelle statue de Maitreya, le Trachi-lama exprima le désir de voir Kyongbou rimpotché procéder à la cérémonie, mais celui-ci déclara qu’il serait mort avant que le temple contenant la statue soit entièrement terminé.

Le Trachi-lama, me dit-on, pria l’ermite de retarder le moment de sa mort, afin de pouvoir consacrer le temple et la statue.

Une telle requête peut sembler bizarre à un Occidental mais elle s’accorde avec la croyance tibétaine que les grands mystiques possèdent le pouvoir de choisir le moment de leur mort.

L’ermite, déférant au désir du Trachi-lama, promit donc qu’il officierait quand le jour de la consécration serait venu.

Alors, environ un an après mon départ de Jigatzé, temple et statue étant terminés, une date fut fixée pour la solennité de leur consécration. Ce jour venu, le Trachi-lama envoya une magnifique chaise à porteurs et une escorte à Kyongbou rimpotché, pour l’amener à Trachilhumpo.

Les hommes de l’escorte virent l’ermite prendre place dans la chaise, celle-ci fut close et l’on se mit en marche.

Pendant ce temps, plusieurs milliers de personnes s’étaient assemblées à Trachilhumpo pour assister à la cérémonie. Quel ne fut pas leur étonnement, lorsqu’elles virent arriver Kyongbou rimpotché seul et à pied ! Il traversa le temple en silence, s’avança vers la gigantesque statue, s’en approcha jusqu’à la toucher et, graduellement, pénétra en elle.

Un peu plus tard, la chaise à porteurs entourée de son escorte arriva. On en ouvrit la porte… elle était vide.

Beaucoup affirment que le lama n’a jamais plus été vu depuis ce temps.

Le prodige, lorsqu’on me le narra à Lhassa, me parut dépasser toute imagination. Il m’intéressait particulièrement parce que j’avais connu l’ermite, vu le lieu où s’était opéré le phénomène et été directement informée des circonstances l’ayant précédé : c’est-à-dire la requête du Trachi-lama et la promesse faite par Kyongbou rimpotché de retarder le moment de sa mort.

Je brûlais du désir de me rendre à Jigatzé pour me renseigner concernant les derniers jours du lama et tâcher de trouver sa tombe, s’il était véritablement mort. Mais Yongden et moi vivions à Lhassa sous un déguisement et nous ne pouvions espérer conserver cet incognito à Jigatzé où l’un et l’autre nous comptions de nombreuses connaissances. Être démasqués équivalait à être immédiatement conduits à la frontière et je tenais, après mon séjour dans la capitale du Thibet, à visiter les tombeaux des anciens rois et d’autres monuments dans la province de Yarloung. Ainsi, force me fut de renoncer à mon enquête.

Cependant, avant que nous quittions le Thibet, Yongden trouva le moyen de poser des questions sur le miracle de Jigatzé à quelques hommes paraissant capables d’avoir des idées éclairées à son sujet.

Malheureusement, l’événement remontait déjà à environ sept années. De grands changements s’étaient produits depuis lors dans la province de Tsang, et différents autres prodiges avaient été signalés en rapport avec le Trachi-lama au moment de sa fuite au Thibet. De plus, l’atmosphère politique n’était pas favorable aux gens et aux choses de Tsang. Les hommes occupant une situation sociale au-dessus du vulgaire étaient devenus d’une réserve exagérée sur tout ce qui pouvait sembler exalter la personnalité du Grand Lama exilé, ou ajouter au prestige de la statue dont l’érection, d’après la rumeur publique, avait excité la jalousie de la cour de Lhassa.

Nous recueillîmes les opinions suivantes :

Kyongbou rimpotché avait créé un fantôme identique à lui qui était entré dans la chaise et s’était comporté comme il a été relaté dans le temple de Maitreya. Ce fantôme s’était évanoui en touchant la statue comme l’avait combiné le lama-magicien qui, pendant ce temps, n’avait peut-être pas bougé de son ermitage.

Ou bien, de sa retraite, le lama avait été capable de faire éprouver une hallucination collective à la foule assemblée loin de lui.

Quelques-uns insinuèrent que Kyongbou rimpotché était déjà mort quand le miracle se produisit, mais avait laissé derrière lui un tulpa (fantôme), sa créature, pour se rendre à Trachilhumpo.

Ceci me rappela qu’un disciple de Kyongbou rimpotché m’avait dit, un jour, que par le moyen de certains genres de concentration d’esprit, des phénomènes pouvaient être préparés en vue d’événements futurs. Si la concentration était effectuée avec succès, toute la suite des actions voulues se déroulait mécaniquement, sans que la coopération du magicien fût encore nécessaire. Même, ajoutait ce lama, le magicien est, en bien des cas, incapable de défaire son œuvre et d’empêcher le phénomène de se produire au temps marqué, l’énergie qu’il a engendrée et dirigée vers un certain but étant passée hors de son contrôle.

On pourrait en dire bien davantage au sujet des phénomènes psychiques au Thibet.

La relation d’un seul investigateur ne peut être que très incomplète, particulièrement dans les conditions difficiles parmi lesquelles ces recherches doivent être poursuivies dans ce pays.

L’idée de faire un cours de magie ou de prêcher des doctrines quelconques au sujet des phénomènes psychiques est très loin de ma pensée. Mon but a simplement été de donner une idée de la manière dont sont envisagés, dans un des pays les moins connus du monde, certains faits rentrant dans le champ des études psychologiques.

Je serais heureuse si le présent livre pouvait inspirer, à quelques savants plus qualifiés que moi pour une telle besogne, le désir d’entreprendre de sérieuses investigations au sujet des phénomènes que j’ai mentionnés brièvement.

L’étude des phénomènes psychiques doit, il me semble, s’inspirer du même esprit que n’importe quelle recherche scientifique. Les découvertes que l’on peut faire dans ce domaine n’ont rien de miraculeux, rien qui puisse justifier les croyances superstitieuses et les divagations auxquelles certains se sont abandonnés à leur propos. Bien au contraire, ces recherches tendent à mettre au jour le mécanisme des prétendus miracles et le miracle expliqué n’est plus un miracle.
— Paris: Éditions Plon, 1929.

 

Aldous Huxley: Tibet

In moments of complete despair, when it seems that all is for the worst in the worst of all possible worlds, it is cheering to discover that there are places where stupidity reigns even more despotically than in Western Europe, where civilization is based on principles even more fantastically unreasonable. Recent experience has shown me that the depression into which the Peace, Mr. Churchill, the state of contemporary literature, have conspired to plunge the mind, can be sensibly relieved by a study, even superficial, of the manners and customs of Tibet. The spectacle of an ancient and elaborate civilization of which almost no detail is not entirely idiotic is in the highest degree comforting and refreshing. It fills us with hopes of the ultimate success of our own civilization; it restores our wavering self-satisfaction in being citizens of industrialized Europe. Compared with Tibet, we are prodigious. Let us cherish the comparison.

My informant about Tibetan civilization is a certain Japanese monk of the name of Kawaguchi, who spent three years in Tibet at the beginning of the present century. His account of the experience has been translated into English, and published, with the title Three Years in Tibet, by the Theosophical Society. It is one of the great travel books of the world, and, so far as I am aware, the most interesting book on Tibet that exists. Kawaguchi enjoyed opportunities in Tibet which no European traveller could possibly have had. He attended the University of Lhasa, he enjoyed the acquaintance of the Dalai Lama himself, he was intimate with one of the four Ministers of Finance, he was the friend of lama and layman, of all sorts and conditions of Tibetans, from the highest class to the lowest — the despicable caste of smiths and butchers. He knew his Tibet intimately; for those three years, indeed, he was for all practical purposes a Tibetan. This is something which no European explorer can claim, and it is this which gives Kawaguchi’s book its unique interest.

The Japanese, like people of every other nationality except the Chinese, are not permitted to enter Tibet. Mr. Kawaguchi did not allow this to stand in the way of his pious mission — for his purpose in visiting Tibet was to investigate the Buddhist writings and traditions of the place. He made his way to India, and in a long stay at Darjeeling familiarized himself with the Tibetan language. He then set out to walk across the Himalayas. Not daring to affront the strictly guarded gates which bar the direct route to Lhasa, he penetrated Tibet at its southwestern corner, underwent prodigious hardships in an uninhabited desert eighteen thousand feet above sea-level, visited the holy lake of Manosarovara, and finally, after astonishing adventures, arrived in Lhasa. Here he lived for nearly three years, passing himself off as a Chinaman. At the end of that time his secret leaked out, and he was obliged to accelerate his departure for India. So much for Kawaguchi himself, though I should have liked to say more of him; for a more charming and sympathetic character never revealed himself in a book.

Tibet is so full of fantastic low comedy that one hardly knows where to begin a catalogue of its absurdities. Shall we start with the Tibetans’ highly organized service of trained nurses, whose sole duty it is to prevent their patients from going to sleep? or with the Dalai Lama’s chief source of income — the sale of pills made of dung, at, literally, a guinea a box? or with the Tibetan custom of never washing from the moment of birth, when, however, they are plentifully anointed with melted butter, to the moment of death? And then there is the University of Lhasa, which an eminent Cambridge philosopher has compared with the University of Oxford — somewhat unjustly, perhaps; but let that pass. At the University of Lhasa the student is instructed in logic and philosophy; every year of his stay he has to learn by heart from one to five or six hundred pages of holy texts. He is also taught mathematics, but in Tibet this art is not carried farther than subtraction. It takes twenty years to get a degree at the University of Lhasa — twenty years, and then most of the candidates are ploughed. To obtain a superior Ph.D. degree, entitling one to become a really holy and eminent lama, forty years of application to study and to virtue are required. But it is useless to try to make a catalogue of the delights of Tibet. There are too many of them for mention in this small space. One can do no more than glance at a few of the brighter spots in the system.

There is much to be said for the Tibetan system of taxation. The Government requires a considerable revenue; for enormous sums have to be spent in keeping perpetually burning in the principal Buddhist cathedral of Lhasa an innumerable army of lamps, which may not be fed with anything cheaper than clarified yak butter. This is the heaviest item of expenditure. But a great deal of money also goes to supporting the Tibetan clergy, who must number at least a sixth of the total population. The money is raised by a poll tax, paid in kind, the amount of which, fixed by ancient tradition, may, theoretically, never be altered. Theoretically only; for the Tibetan Government employs in the collection of taxes no fewer than twenty different standards of weight and thirty-six different standards of measure. The pound may weigh anything from half to a pound and a half; and the same with the units of measure. It is thus possible to calculate with extraordinary nicety, according to the standard of weight and measure in which your tax is assessed, where precisely you stand in the Government’s favour. If you are a notoriously bad character, or even if you are innocent, but live in a bad district, your tax will have to be paid in measures of the largest size. If you are virtuous, or, better, if you are rich, of good family and bien pensant, then you will pay by weights which are only half the nominal weight. For those whom the Government neither hates nor loves, but regards with more or less contempt or tolerance, there are the thirty-four intervening degrees.

Kawaguchi’s final judgment of the Tibetans, after three years’ intimate acquaintance with them, is not a flattering one:

“The Tibetans are characterized by four serious defects, these being: filthiness, superstition, unnatural customs (such as polyandry), and unnatural art. I should be sorely perplexed if I were asked to name their redeeming points; but if I had to do so, I should mention first of all the fine climate in the vicinity of Lhasa and Shigatze, their sonorous and refreshing voices in reading the Text, the animated style of their catechisms, and their ancient art.”

Certainly a bad lot of vices; but then the Tibetan virtues are not lightly to be set aside. We English possess none of them: our climate is abominable, our method of reading the holy texts is painful in the extreme, our catechisms, at least in my young days, were far from animated, and our ancient art is very indifferent stuff. But still, in spite of these defects, in spite of Mr. Churchill and the state of contemporary literature, we can still look at the Tibetans and feel reassured.
On the Margin. Notes and Essays. New York: George H. Doran, 1923. pp. 106-111.